L’incroyable complexité administrative, une dimension peu évoquée mais omniprésente au quotidien.
mis en ligne le 5 mai 2004 par Fabrice Neyret
Une (petite) liste des freins administratifs quotidiens a la productivite’ de la recherche. (Comment les faire sauter ?)
C’est
sans doute peu visible des hiérarchies, ou peut-être s’habitue t’on
après quelques décennies de carrière, mais pour moi qui ait un peu
connu l’étranger et l’industrie, ça me parait peut-être le *premier* problème auquel sont confrontés les chercheurs en France :
L’ *incroyable complexité administrative*,
ou se superposent les réglementations de la comptabilité publique, des
administrations internes, des pratiques auto-protectrices à tous les
niveaux de traitement... La vie quotidienne des chercheurs, c’est
véritablement "le Château" de Kafka, en pire. C’est démobilisant, c’est
un frein objectif et fort à la productivité, et ça fini par occuper le
plus clair du temps. Je pourrais - et d’autres pourraient mieux que moi
- développer plus ce point, mais par ce message je veux avant tout
essayer de pousser l’idée qu’il est *vital de ne pas oublier cette dimension*, qui doit vraiment être traitée en priorité et en profondeur.
À titre d’exemples, on peut citer : (avec des variations probables d’un organisme a l’autre)
l’impossibilité
de passer des commandes après la mi-automne, sous prétexte
(impératif !) que le contrôleur financier doit les approuver avant
la fin de l’exercice ; l’impossibilité
de passer des commandes avant le printemps, le temps que les
administrations statuent sur les reliquats et les réaffectent (ou
non...) sur les même lignes budgétaires ; l’incroyable
niveau de tatillonnerie avec lequel le contrôleur financier (et par
extension la chaîne administrative, qui cherche à se protéger et à
anticiper les rejets) traite des dossiers les plus infimes : les
tâches les plus communes comme commander des PC, ou un logiciel,
rembourser des missions, ou encore des `menues dépenses’ (e.g. le
café !) prennent une énergie (i.e. des heures de travail) parfois
sans commune mesure avec les sommes en jeu (à quand un contrôle a
posteriori ?) ; l’incroyable
centralisme qui accompagne ce contrôle préalable et qui constitue un
frein objectif et fort à la productivité : un seul contrôleur
financier pour tout l’INRIA, un seul par région administrative pour le
CNRS ; l’incroyable
tatillonerie et inadéquation de la réglementation, concernant par
exemple ce qui est remboursable ou non dans une mission en France ainsi
que les pièces à produire ; l’encours
financier très important des frais avancés par les chercheurs et en
attente de remboursement (parfois 1 an de mission ( !), et
pourtant remboursé sans intérêts) ; les
fournisseurs sont eux aussi parfois payés très en retard, au point que
certains ne veulent plus traiter avec nous ; la
loi sur les marchés, qui conduit souvent à l’inverse de ses buts de
transparence (puisqu’il faut bien arriver à la contourner pour résoudre
le quotidien), tout en apportant souvent en pratique augmentation des
coûts et rigidification extrême lors des achats ; l’absence
de personnalité juridique des laboratoires qui empêche de comptabiliser
ou traiter à ce niveau logique ; l’absence
d’accès à des moyens de paiement modernes, qui nous handicape
lourdement pour les transaction internationales type congrès,
abonnements, achats de logiciels... ; l’encadrement
tatillon du type d’utilisation des moyens des labos, fussent-ils des
ressources propres obtenues par contrats ; le
personnel administratif (dont le nombre est inadéquat par rapport à
(l’absurde) complexité de la réglementation) étant totalement absorbé
par les affaires courantes, c’est aux chercheurs de se transformer en
"chargés d’affaire" et de prendre en charge l’intense activité
"politico-administrative" indispensable pour obtenir les bourses et
moyens de financement courants ; la liste ne s’arrête évidemment pas à ces quelques échantillons.
À cette complexité administrative de base s’ajoute
toute la complexité propre à l’organisation de la recherche, ancienne
ou liée aux nouvelles pratiques, que je ne souhaite pas développer ici.
Juste à titre d’exemple, la multiplication des guichets accroît
considérablement la complexité (voire la non-transparence) car : il
est maintenant indispensable aux chercheurs de soumettre nombre de
dossiers pour obtenir des bourses et financements pour l’activité
régulière du labo (même les rares bourses `standard’ se voient
aujourd’hui en parties `fléchées’) ; l’obtention
de ces moyens est assortie de lourdes tracasseries concernant leur
condition d’emploi et la justification des dépenses (au point paradoxal
que des sommes restent parfois non dépensées alors même que des besoins
sont non pourvus !) ; les
"règles du jeu" concernant les attributions, et la réglementation quant
a l’emploi des moyens obtenus, sont souvent obscures et
changeantes ; l’évaluation
des dossiers par les multiples niveaux auxquels on demande maintenant
"d’avoir une politique scientifique" suppose au préalable une
définition des priorités, qui signifie en pratique une intense activité
de lobbying par les labos (au détriment de la transparence, et
représentant encore une forte énergie aux chercheurs) ; par
ailleurs les chercheurs étant également sollicités pour l’évaluation
des divers dossiers de demande, c’est encore une charge
supplémentaire...
Que reste-t-il, au final, comme temps pour faire de la recherche ?
Faire sauter ces verrous ne devrait rien couter, tout
en augmentant notre productivite’ (i.e. le temps passe’ a faire
quelquechose d’utile). Mais comment faire pour obtenir cette revolution
Copernicienne ?
Fabrice NEYRET
Au dela d’un bilan des
problemes, il faudrait savoir formuler des propositions concretes et
recevables permettant d’en venir a bout. Mais mis a part l’autonomie
administrative des laboratoires (qui est une reponse partielle et
encore tres floue), je ne vois encore pas bien comment faire... Idees
bienvenues !
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