DOSSIERLa machine qui mesure le profil psychologique... des journalistes ?


 

Contexte
Comme bien d'autres, j'ai sursauté devant mon bol de café cet été en lisant l'article du Monde daté du 8 août traitant sur une demi-page de « la machine qui détecte la personnalité », présentant le procédé (et l'entreprise éponyme) « QPM » (pour Quantic Potential Measurement) qui, à partir de la mesure du potentiel sur six électrodes placées sur le corps (front, mains, pieds) prétend vous délivrer en neuf pages l'analyse précise, détaillée et infaillible de votre profil psychologique. 
Je ne sais pas ce qui me choque le plus du travail de la journaliste ou des prétentions des découvreurs - entrepreneurs. 


Ophélie Neiman, journaliste de Rue89 a testé la machine de QPM.
(Crédit : Audrey Cerdan / Rue89)

Je m'étais promis d'en faire un article critique à la rentré, mais j'ai été pris de court : Jean-Paul Krivine via le site de l’AFIS et Ophélie Neiman à Rue89 publiaient les 13 et 19 août respectivement deux articles détaillés excellents et complémentaires sur la question, auxquels je renvoie le lecteur pour ne pas avoir à paraphraser les points qu'ils ont déjà fort bien exposés. Pour les introduire néanmoins en quelques mots, l'article de la revue en ligne Rue89 décrit dans un style vivant le test et l'interview des allégateurs par l'auteure (avec vidéos et sons en ligne), laquelle se livre ensuite à une analyse critique des réponses appuyée d'un avis scientifique, ainsi qu'à une petite enquête sur les antécédents des « découvreurs » (on y reviendra) et l'usage envisagé par des utilisateurs en milieu sportif. Quant à l'article de l'AFIS (Association Française de l’Information Scientifique), repris par de nombreux sites dont celui de l’ACRIMED le 22 août, il mentionne divers appareillages similaires déjà existants - dont celui utilisé depuis longtemps par la Scientologie -, entreprend une analyse critique du langage pseudoscientifique utilisé dans les allégations techniques sur le site web de QPM et reproche avant tout le manque d'esprit critique de la journaliste du monde comme les réactions inappropriées des médias (le traitement TV humoristique mais pas critique). 
On pourra cependant tiquer sur l'amalgame avec la Scientologie, car similitude n'est pas causalité (et diaboliser n'est pas un argument valable - sauf à établir le lien - alors que tant d'autres sont disponibles). Quant à la "validation" des résultats par les utilisateurs (clients ou journalistes), l'effet Barnum - tendance à trouver très précises et personnelles des descriptions génériques - est directement invoqué dans les deux articles. 
À noter que le président de QPM, Patrick Visier, rétorque aux « attaques du débat médiatique » sur le site de l'entreprise, tout en promettant une FAQ technique pour contrer la méconnaissance (laquelle n'est pas là 15 jours après la date de dernière modification de cette annonce, tandis que la page « fondements » s'est visiblement allégée de plusieurs points mentionnés dans les articles, comme le montre preuves à l’appui un nouvel article de Jean-Paul Krivine daté du 4 septembre). Cette réaction du fondateur de QPM se contente toutefois d'opposer la « presse objective » et les « forums poubelle », évitant ainsi d'avoir à citer et argumenter face aux deux articles précédents. 

La structure de l'article du Monde
La structure de l'article du Monde est la suivante :
Après un titre et sous-titre reprenant l'allégation sans conditionnels (la machine détecte la personnalité, et réalise un profil psychologique), la journaliste décrit sommairement la machine vue du patient. 
Le chapitre suivant (deux tiers de la surface rédactionnelle) mentionne une brève impression dubitative quant au procédé, finalement balayée par le « trouble » devant la « précision » du diagnostic. Pour se rassurer dans sa posture, la journaliste mentionne les utilisateurs convaincus et fait appel au témoignage similaire au sien d'une « psychologue clinicienne »[1], ce qui semble la dispenser de chercher à creuser au fond. C'était sans doute involontaire, mais rappelons toutefois que la structure narrative du sceptique finalement convaincu est une vieille scie utilisée depuis les paraboles des mythes jusqu'aux publicités lessivières en passant par les allégations paranormales et les arnaques. 

Comment marche la machine ? Quelques phrases vagues paraphrasent le titre, insistant sur les trois ans de recherche et la démarche éthique, et l'expression « au carrefour des neurosciences, de la psychologie et de la médecine énergétique » comme seule mention se rapportant a une quelconque théorie ou discipline scientifique. 
Voici donc révélé en scoop l'aboutissement de Graals révolutionnaires dans plusieurs sciences, tant sur la connaissance du cerveau (comment passer des neurones au psychisme) que de la physique (si « quantique » s'applique vraiment à ce qui est mesuré) et de la psychologie (enfin des mesures objectives), et qui plus est, non pas constituée d'artificiels éléments abstraits en labo mais bien d'une vraie machine qui marche (et ce de manière infaillible), mais pour autant il n'est pas jugé utile de se renseigner sur ces modèles révolutionnaires, ni sur les disciplines concernées ainsi théoriquement révolutionnées, ni de faire mention de la moindre référence scientifique ou laboratoire de recherche ! À croire que vue des médias, aujourd'hui la Recherche se limite à la simple innovation industrielle géniale isolée... 

Les noms et titres des inventeurs sont listés :

À noter qu'en guise d'équilibrage du ton il est fait appel au scepticisme du président de l'AFTCC (Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive), dans un paragraphe hélas hermétique : en forçant l'interprétation on peut avoir l'impression que ce médecin psychiatre voulait évoquer lui aussi l'effet Barnum, mais soit il s'est mal exprimé, soit la journaliste n'a pas saisi. 

Le dernier chapitre de l'article s'attache aux problèmes éthiques, citant à la fois les engagements de l'entreprise à ne pas vendre à n'importe qui, et les inquiétudes de spécialistes quant à l'usage qu'on risque de faire d'un tel savoir. 
On retrouve ici une forme de l'illusion de neutralité médiatique classique (il suffirait de citer deux avis contradictoires pour être neutre), soit, dans cet article, des affirmations sans conditionnel puis une personne mentionnant une méfiance circonscrite. Par ailleurs, ce contrepoids tombe dans l'effet « homme de paille » amorcé par Patrick Visier (préventions sur l'éthique, non-application au jugement des personnes, ni au diagnostic médical - qui pour lui ne couvre apparemment pas la psychothérapie -, le caractère momentané du profil obtenu (mais pourtant reproductible, et révélant d'après le site tant les composantes invariantes que les momentanées), alors que les problèmes que posent cette « invention » sont partout sauf là ! 

Le modèle théorique
Intéressons nous maintenant au modèle théorique susceptible de fonder la méthode, d'après les éléments recueillis sur le site et dans les interviews (on supposera ici que les quelques éléments tirés de propos entre guillemets dans les articles sont fidèles). 
Que la personnalité, ou plutôt le profil psychologique détaillé (9 pages) et infaillible, soient mesurables par une simple mesure électrique (rudimentaire qui plus est), et ce en un instant, hors de toute mise en situation, ne va pas de soi. On pourrait même dire que c'est peu vraisemblable, mais attention : que cela contredise nos connaissances voire nos préférences idéologiques n'est pas un argument valable. Seul un vrai protocole de test en double aveugle avec traitement statistique adéquat peut établir la réalité des performances alléguées (comme le font les scientifiques ordinairement et les zététiciens pour les allégations extraordinaires, conduisant à une publication des résultats avec tous les éléments permettant de les reproduire). Mais rien de tel n'est mentionné ni par l'entreprise ni par l'article du Monde, uniquement les proverbiaux « clients satisfaits » et les expérimentés convaincus... alors qu'il a été largement montré combien la validation subjective était inapproprié en sciences ordinaires - surtout médicales - comme « extra-ordinaires », ce qui a d'ailleurs directement conduit à l'invention au siècle des Lumières du double aveugle (quoi que s’en défende Patrick Visier dans sa réfutation prétendant que la notion d’effet Barnum n’a jamais été démontrée). 

Toutefois, on peut quand même réfuter les arguments théoriques de soutien avancés (ce qui n'est pas une preuve d'inefficacité de la machine, mais permet au moins d'ajuster son propre curseur de vraisemblance en rapport avec le manque de crédit des inventeurs). 
La partie « fondements » du site de l'entreprise, bien que tronquée de nombreuses allégations pseudo-neurophysiologiques présentes lors de la rédaction de l'article de l'AFIS, contient énormément d'amalgames liés :

Comme le signale l'auteure de Rue89, « comment fait la machine pour mesurer mon taux de dopamine ? », ce qui fait bien rire le spécialiste des neurosciences qu'elle consulte, dans la mesure où cette mesure demande aux spécialistes une préparation complexe et surtout une mesure très locale (l’interview est fournie en ligne). De même, l'usage en laboratoire d'électro-encéphalogrammes pour des situations analogues repose sur des dizaines d'électrodes autour ou dans le cerveau, mesurées pendant de nombreuses minutes en soumettant la personne à des stimuli à tester, ce qui n'a que très superficiellement à voir avec l'usage de 6 impulsions sur 6 électrodes dont seulement deux proches du cerveau (toutes deux sur le front) en une fraction de secondes et sans aucun stimulus ! 

Par ailleurs, des amalgames potentiels sont induits par des homonymies de concepts : cartes cérébrale mesurée versus carte du psychisme, potentiel électrique versus potentiel des individus... hasard, jeux de mots, ou inductions fondées sur de simples consonances ? De même pour la parenté alléguée avec des méthodes « proches », en guise d'argument d'autorité : certes des détecteurs de mensonge utilisent des électrodes, mais il ne s'agit que de mesurer la variation de conductivité due à la sudation en réaction à l'émotion provoquée par une question bien choisie ! Et que « de grandes universités américaines » (non citées) recourent à des mesures par électrodes pour s'adapter au rythme des étudiants (je serais quand même curieux d'éprouver la banalité du procédé) ne prouve rien tant qu'il ne s'agit à nouveau que de détecter l'émoi : détecter une émotion n'est pas du tout identique à établir un profil psychologique, et la co-présence d'électrodes ne prouve pas que la théorie sous-jacente soit la même. (À noter que ce genre de « preuve » par glissement via des mots polysémiques ou par co-présence de vocabulaire est très fréquent dans le verbiage pseudo-scientifique, qui prend volontiers des mots pour des concepts). 
Dernier type d'amalgame, que l'on trouve dans la curieuse section « bibliographie » du site de QPM (curieuse car elle ne comporte aucune référence bibliographique, comme s'en étonne l'article de l’AFIS): y figure une liste hétéroclite mêlant chercheurs renommés sans aucun rapport au sujet (Bohr, Einstein, Hawkins, Planck...) et tenants de pseudo-théories connus ou inconnus (Benveniste, Sheldrake...) avec mention de leurs accomplissements (comme si ces « théories » étaient reconnues par la Science, au même titre que celles des premiers) ou de leur pedigree improbable (« chercheur en médecine quantique »). 

Enfin, l'affirmation de Patrick Visier que l'approche est « basée sur le modèle électroquantique de l'organisme » laisse entendre qu'un tel modèle est connu, classique, et consensuel, bien qu'il n'en soit absolument rien (pour tout dire j'aurais bien aimé au moins une référence à un petit bout de modèle même incomplet et méconnu !). 
En l'absence de modèle ou de filiation explicite, on peut juste contempler le plaquage littéral et naïf de concepts comportementaux sur des concepts neuronaux : « 3 facteurs du comportement à relier à nos 3 cerveaux (rachidien, lymbique, néocortex) », « votre recherche de nouveauté est liée au taux de dopamine émis dans le néocortex », ou encore l'immodestie inconsciente : « 180 points de mesure sur le corps corrélés aux points du cerveau nous permettent d'identifier les fonctions comportementales » (et ce de manière infaillible), alors que c'est le Graal de milliers de chercheurs en neurosciences depuis des décennies... 

Accessoirement, une contradiction de détail m'a chiffonnée, mais je l'ai d'abord injustement attribuée à la journaliste du Monde alors qu'elle se retrouve dans la prose des inventeurs : en effet, le titre du monde mentionne « 180 points de mesure », alors qu'il n'y a que 6 électrodes. Le site de QPM semble apporter la réponse à la confusion : il y a 540 mesures (180 reproduites 3 fois), et les 6 plaques conduisent à 30 « dérivations » (ce que je comprend comme 6x5 chemins électriques à tester entre les 6 électrodes) effectuées en plusieurs impulsions. Mais le directeur parle aussi de 180 points lors de l'interview, et « les inventeurs » cités par le Monde de « 180 points du corps repérés et corrélés à des points du cerveau ». En plus des points de mesure, la page descriptive du site parle aussi de « téguments », de « secteurs », de 4 « facteurs primaires »... Comprenne qui pourra, sachant que le protocole côté patient est clairement décrit : celui-ci pose ses 2 mains et 2 pieds sur les plaques, on lui colle 2 électrodes frontales, clic, et c'est fini. 
Attention, il ne s'agit pas ici d'adopter la méthode hypercritique (chère aux négationistes) pour invalider la méthode sur cette simple contradiction, mais d'établir que le moins que l'on puisse dire, c'est que les détails techniques et scientifiques avancés sont peu clairs ! (bien que le site nous rassure en précisant que le traitement est fait à l'aide de "calculs mathématiques" et de "double analyse croisée". Les échelles utilisées dans le bilan sont précisées, ainsi que le voltage : au lieu de ces détails parfaitement inutiles, on aurait préféré quelques bribes sur les théories sous-jacentes et sur les protocoles de validation ! ) 

L'historique de l'« invention » tel que rapporté en vidéo par le directeur dans l'article de Rue89 est lui-même instructif. Patrick Visier nous révèle qu'il a toujours rêvé de permettre aux gens de mesurer leurs dons et potentiels, et qu'un jour Jean-Luc Ayoun, « médecin », lui a présenté un « matériel pour bilan médicaux se basant sur la mesure de courants sur le corps via 6 électrodes » (sans plus de précision, alors que le site s'appuie sur cette ascendance). Il lui a alors parlé de son idée de mesure du potentiel des gens (au sens figuré; on espère que l'homonymie n'est pas le principal argument !). Ils ont essayé, et çà a marché ! (comme c'est facile, les grandes découvertes !).
Leur expérimentation a consisté à essayer de définir des « grilles de lecture intéressantes » (visiblement en rapport avec les méridiens de la « médecine chinoise », spécialité de Jean-Luc Ayoun), et ont « développé leur propre électronique et informatique à l'aide d'un grand physicien » (i.e., l'ingénieur en physique du solide spécialiste en photographie d'auras). 
En passant, on ne comprend toujours pas la présence du qualificatif « quantique » dans le nom, et faute d'en trouver trace dans les « fondements » (bien que la « bibliographie » appuie sur ce domaine) on imagine que c'est possiblement une simple trouvaille marketing, même si elle empreinte dangereusement aux effets impacts employés dans des diverses opérations douteuses. 

Conclusion
Je ne peux qu'adopter en substance celle de Jean-Paul Krivine : que certains produits très marketés se fondent sur des pseudo-sciences, surtout dans le domaine de la psychologie et du coaching, c'est hélas dans l'ordre des choses. Mais que des journalistes d'un quotidien qui fut réputé sérieux manquent à ce point d'esprit critique pour faire la promotion du charlatanisme, c'est choquant et décourageant. On ne peut qu’espérer que la polémique soulevée, et l’excellente tenue des articles en ligne, puisse avoir un effet pédagogique !

Fabrice Neyret

Notes :
[1] : L'expression "psychologue clinicien" est souvent comprise à tord comme "travaillant dans une clinique", avec la connotation institutionnelle et routinière que cela suppose, alors que le terme "clinique" signifie uniquement - en médecine comme en psychologie - que des patients réels ont été rencontrés, et non juste des modèles théoriques. Un psychologue clinicien est donc quelqu'un qui à reçu des patients (avec ou sans diplôme, mais c'est une autre histoire). 
[2] : Résumé du livre Méditation guidées avec les cristaux du Docteur Jean-Luc Ayoun : « Les cristaux sont des antennes cosmiques qui permettent, depuis un plan télépathique mental, l'acces à de fantastiques sources de connaissance et de pouvoir. Contacter Shamballa(le gouvernement spirituel de la terre) ou les annales akashiques (la mémoire de l'univers) est possible si l'on respect certaines conditions qui vous sont exposées dans ce livre. Vous y découvrirez aussi, parmi bien d'autres thèmes, comment composer un mandala de cristaux dans le but d'explorer les rythmes entre les hommes et le cosmos. Chaque méditation guidée est introduite par les indications requises concernant le matériel, le protocole, le but et le déroulement de la méditation. Le docteur Jean-Luc Ayoun est déja un médecin du futur, qui inclut dans sa pratique la médecine karmique, le travail avec des êtres de lumière, ainsi que la thèrapie par les cristaux dont il est un spécialiste. »